Monch

La nuit, les ombres jouent avec le reste de lumière agonisante de la chambre à coucher. Des personnages menaçants et autres visages aux formes inquiétantes naissent soudain d’un vêtement en boule, d’un repli d’oreiller… Rares sont ceux qui, enfant, n’ont pas souvenir de ces moments intenses ! Puis, on grandit… l’enfance s’en va et très souvent l’imagination qui l’accompagne !

C’est un peu pour retrouver cet imaginaire que Monch à commencé par photographier des visages dans les formes de la nature, racines, troncs, souches, bois flottés, pierres, taches, vieux murs etc. Ces formes anthropomorphiques lui « parlent » quand, au-delà de leur simple apparence humaine, l’expression est forte, que les sentiments humains extrêmes effleurent, quand justement il retrouve un peu ses peurs enfantines. Ils sont rarement « gentils » ces personnages imaginés dans le cerveau d’un enfant !

Puis, frustré par le résultat trop approximatif de ces photographies, Monch s’est mis à manipuler ces images pour leur donner encore plus de force. Le dessin de la nature lui donne l’idée, la trame, « je n’ai plus qu’à tirer l’écheveau de mon imagination. »

Il va vers une interprétation plus personnelle en modifiant, sculptant, peignant ses matières photographiques. Dans le prolongement naturel de cette démarche d’humanisation de la matière, il à ensuite inversé le jeux en partant du portrait photographique ou du dessin… qu’il fait retourner à l’état végétal et/ou minéral. Une autre démarche est de se passer de l’humain en abordant le paysage, qu’il fait aussi surgir de ces taches murales et autres mélanges photographiques.

« Je prends soin de laisser le côté naturel et brut prédominer, ce qui laisse un résultat ambigu et flou entre le vrai du faux, entre le naturel et l’apporté, entre l’inerte et le vivant. »

Effacement, déstructuration, expressions humaines intenses, paysages viscéraux, dissolution dans la matière minérale et/ou végétale, sont des thèmes omniprésents…
« Qu’importe le pourquoi, je fais juste parler ce que j’ai de plus profond en moi avec le plus de spontanéité et de sincérité possible. Si mon langage est compris, chacun ensuite, pourra voir sa propre sensibilité, sa propre histoire… son intimité, par simple effet miroir. La création est pour moi source de plaisir et à la fois un moyen cathartique d’évacuer mes « trop-pleins ». Cet acte est très vite devenu indispensable à mon équilibre. »

Paris, 1964… après une formation intra-utérine de neuf mois, sans même attendre le confort tout relatif d’une table d’accouchement, il sort la tête… dans l’ascenseur d’une clinique de maternité !

Il venait d’arriver au monde par ses propres moyens. Cette spontanéité autodidacte est un trait qui le caractérisera par la suite.

Fils d’artiste et collectionneur d’art, son enfance baigne dans un univers artistique. Il absorbe, il vouait pour son père une profonde admiration, mais étouffé par le talent et l’ego très important de ce père, il s’était inconsciemment interdit toute création artistique.

A la quarantaine passée, après avoir exercé diverses activités professionnelles dans le spectacle, le voyage puis l’humanitaire – survient la mort du père. Une pause professionnelle et un replis sont indispensables.

De cette période, naissent les premières œuvres, comme un exutoire. Une barrière inconsciente saute puis, libéré du jugement paternel, une boulimie d’art l’envahit. La création lui devient très vite comme une seconde respiration ! 

Porté par l’accueil d’un public de plus en plus nombreux, très rapidement lui vient une évidence, dans cette seconde moitié de sa vie, il sera l’artiste qu’il s’était depuis trop longtemps interdit d’être.

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Monch par Christian Noorbergen

Monch ou la traversée des ténèbres

Tout part d’une muraille d’opacité. D’un miroir aveugle. D’un creuset de solitude, implacable et souverain. Et Monch crève les veines de sa nuit. Le dehors n’est pas son fort. Des labyrinthes verticaux, écrasants, enchevêtrés et chaotiques, font vivre un espace qu’on dirait fouillé et faillé, hanté à cru de brûlures vitales, de soubresauts souterrains, et de traits ouverts comme des blessures, et taillés au scalpel. L’opacité prend l’espace, et l’espace est possédé. Dès lors, les premières lueurs de l’univers sombre tressaillent, traversées d’instants fatals. Eprouvant face-à-face.

Dans l’étau étranglé de chaque œuvre, âpre et serrée, obscurément tamisée, vibrent ici et là les cordes désarticulées des drames vécus de notre monde. Monch installe et impose les élans saccagés des racines de la vie, comme s’il arrachait la peau des êtres. Ce que les ornières de la culture cachent obstinément, ce que les ordres du jour n’en peuvent plus d’affronter, la part d’ombre le révèle : les trouées de l’être, les regards sacrifiés de nos doubles, et leurs beautés mortelles. Flotte une odeur de gouffre, de souffre et d’étrange énergie sacrificielle. L’impensable stagne et couve sous les apparences cruelles d’un monde décapé. Il attend de pied ferme, fatal, terrifiant, à découvert, et toujours déjà maculé d’espoir et de désespoir.

Passeur de ténèbres, Monch crée au-delà de la vie. Magicien-envoûteur, il porte des coups au cœur des mortes surfaces. Il déchire les fatigues de l’ombre. Dessin, sculpture, photographie, peinture, tout est broyé pour naître à l’œuvre finale. Aux abords de l’abîme, il ose lâcher prise, et ça parle. Son art est insidieux comme un poison. Sorties de l’antre, ses formes acérées font disparaître nos repères sécuritaires. On navigue en territoire d’inquiétude. L’art n’est pas fait pour les regards assis…

Monch éprouve la puissance démoniaque des interdits vitaux qui prennent nos vies et nos vides. L’ordre du sacré vacille, et la terreur vitale saisit l’âme à la gorge. Il n’y a plus que la figure humaine qui résiste, en proie à toutes les métamorphoses vitales. Infinies sont les passerelles au pays des faces, des visages, et des gueules. Art d’exorcisme et de combat. Art de l’impossible tendresse. L’œuvre aérée d’inconscient incarne le fantasme aigu de l’existence saisie à la gorge, et mise à nu.